La Continuité Ultime

L'élément

Pourquoi enseigner l'élément ?

134 Bien qu'ils aient déclaré ici :
"L'élément est comme un nuage,
Un songe, une illusion magique"
Et là : "Les connaissables sont
Vacuité dans tous leurs aspects"
Les Vainqueurs n'affirment-ils pas
Pourtant que le Cœur du Bouddha
Est présent chez les êtres sensibles ?
134 Dans une transition à son commentaire, Asańga dit : "Comment se fait-il, en effet, que cet élément, difficile à percevoir, qui n'est pas même l'objet d'expérience des meilleurs parmi les éminents se tenant au niveau ultime d'absence d'attachement, soit enseigné, là, pour des êtres ordinaires immatures, à leurs débuts de pratiquants ? "
C'est la question de fonds qui s'élève tandis qu'au niveau scriptural, elle est présente aussi. Par exemple il est dit dans les sūtras, exhaustifs, moyens de la Mère des Victorieux et autres, [de la seconde mise en mouvement de la Roue du dharma] : "Il apparaît mais sans réalité, sans nature propre, comme, par exemple, un songe, un nuage, une illusion magique […]".Et là : "Les connaissables, depuis la forme jusqu'à la sagesse omniaspectuelle, tous les phénomènes, bien qu'ils apparaissent, sont vacuité sans exceptions, dans tous les aspects de leur nature propre". Cela ayant été dit avec de grands développements, la dernière prise de parole [de la troisième mise en mouvement de la Roue du dharma] comprend de nombreux sūtras relatifs au Cœur de l'Ainsi allé, excellentes écritures de sens certain et absolu où, là, les paroles authentiques du parfait bouddha, du Vainqueur affirment  : "Le cœur du bouddha, vacuité, est présent, parfaitement pur par nature et claire lumière intemporelle, chez tous les êtres sensibles.", quelque soit la forme employée. Ne peut-on penser qu'une telle contradiction entre textes antérieurs et postérieurs n'est pas cohérente ?
135 Cinq fautes sont présentes chez ces êtres :
Veulerie et mépris des êtres,
Déni de la réalité
Dans sa perfection, rejetant
La perfection, et égoïsme :
Ces mots visent à leur abandon.
135 Afin de faire comprendre plus loin en quoi les intentions des sūtras antérieurs et postérieurs ne s'opposent pas, [on citera d'abord] les textes expliquant, Sūtra du Cœur de l'Ainsi allé inclus, la nécessité de dire la présence de la nature de Bouddha.
En effet [selon ces sūtras] il y a un ensemble de cinq fautes, présentes chez les êtres quel qu'ils soient, et ces mots visent à leur abandon :
- veulerie (1), l'obstacle à un développement énergique de notre propre esprit d'éveil ;
- mépris des êtres inférieurs (2), l'obstacle à l'amour altruiste ;
- déni de la perfection de la réalité, du Cœur du Bien allé, par une fixation sur l'erroné en rejetant le mode d'être dans sa perfection ;
- attachement excessif à l'ego (5).
136 137 138 Dans le dépouillement de la
Perfection ultime de toutes formes
De fabrication, les passions,
Les actes et l'objectivation
De la complète maturation
De ces passions et de ces actes
Sont exprimés comme semblables
A un nuage et à un rêve,
A l'illusion d'un magicien :
Nuage des passions, onirique
Jouissance des actes et sortilège
Des agrégats, mûrissement
Complet de ces actes et passions.
Ayant d'abord posé ceci,
Bouddha l'enseigna à nouveau
Comme une continuité
Insurpassable afin que soient
Abandonnées les cinq lacunes,
Disant : "L'élément est présent !"
136 Si l'on questionne la Pensée de la seconde mise en mouvement des sūtras, exhaustifs, moyens et autres, de la prajñāpāramitā, suivant laquelle tous les phénomènes sont dénués de nature propre, elle nous dit que l'ultime perfection du mode d'être est dans le dépouillement de toutes formes de souillures adventices [découlant] d'une fabrication. L'absence de réalité des différents modes de la confusion - confusion des passions, confusion des actes et, objectivation rendue claire de leur complète maturation, les agrégats, etc., la confusion d'une naissance - est dite être semblable à un nuage, un rêve et l'illusion [conjurée] par un magicien.
137 Les passions, désir, etc., dans leur ensemble (kun nas), sont semblables à un nuage et la nature de l'esprit est telle le ciel que ce nuage traverserait provisoirement. La conduite négative sous l'effet de l'éruption de la concupiscence, etc., la confusion des actes, est comme une jouissance onirique, une focalisation mentale illusoire créée par un esprit abusé.
La confusion de la naissance, agrégats, etc., résultant du mûrissement complet des actes et des passions, est comme un sortilège, sans réalité ni lien avec des conditions.
138 Dans la menée progressive des disciples, le premier Discours met en mouvement la Roue du Dharma des quatre vérités et il y en eut qui, se questionnant sur l'existence ultime de la forme, etc., développèrent un fort attachement. Afin qu'ils l'éliminent, le Bouddha enseigna d'abord lors de la [seconde] mise en mouvement de la Roue du Dharma de l'absence de caractéristiques : "Tous les phénomènes sont vides et, bien qu'ils se manifestent, sans nature propre, sont tel un nuage, un songe, une illusion".
Ayant ainsi établi l'importance prioritaire de l'enseignement de l'absence d'essence, sans rejeter que l'on s'exhorte seulement à [la culture de] ceci, il l'enseigna à nouveau, avec la profondeur maximale, quand il mit ensuite en mouvement la Roue du Dharma de l'établissement définitif du point absolu, de l'insurpassable ou dernier des trois thèmes des mises en mouvement. A ce stade d'explication où la vacuité (dharmadhātu) est enseignée comme un courant ininterrompu, le point ultime est expliqué comme semblable à une continuité. Afin d'accorder les qualités de joie, dévotion pour l'éveil, parfait discernement, sagesse et bonté aimante, les cinq types de lacunes - veulerie, mépris, déni de la perfection de la réalité, attachement excessif à l'ego - étant abandonnées, il dit : "L'élément, nature complètement pure, coeur de l'Ainsi allé, est présent infus en tous", [point] qu'il enseigna, en le rendant très accessible par de nombreux biais : exemples, raisons, etc.
139-1 En fait, si ceci n'avait
Jamais été rendu audible ,
Coupables de mépris pour soi,
Certains ne généreraient pas,
Déprimés, la bodhicitta.
D'autres, bien qu'ils aient développé
L'esprit d'éveil, auraient l'orgueil
De se dire : "Comme je suis sublime ! ",
Et s'appliqueraient à discerner
Les " inférieurs ", ceux qui n'ont pas
Développé d'esprit d'éveil !
139-1 En fait, s'il n'était pas enseigné, s'il n'avait jamais été audible que "le Cœur du Bouddha est présent d'une manière infuse en tous les êtres", sourd à ceci, coupable de mépris pour soi-même, de manque d'assurance - quand l'on pense : "Comment un être tel que moi obtiendrait-il l'éveil insurpassable ? ", on serait déprimés. Coupables aussi, certains, ne généreraient la bodhicitta spéciale qui fait dire : "Puissè-je ouvrir et purifier (bud-dha) d'une manière absolue cette nature qui est mienne !"
Il en est d'autres aussi qui, bien qu'ils n'aient que vaguement développé l'esprit d'éveil, se diraient : "J'accomplis la bouddhéité pour le bien d'autrui "! Et iraient, tout gonflés d'orgueil, cogitant : "Quel être sublime et noble ne suis-je pas, un adepte du Grand véhicule !", tandis qu'arrogants, ils se rendraient coupables de s'appliquer à discerner (shes rab) ceux qui n'ont pas développé d'esprit d'éveil, faute d'être conscients de la présence de l'ainsité, pensant qu'ils sont inférieurs.
139-2 De même, faute d'entretenir
Une perception de cet esprit
Correcte, certains réifieraient
L'imperfection, dans l'ignorance
Du point ultime : Les fautes des êtres,
Parce qu'adventices et fabriquées,
N'existent pas parfaitement.
Leur perfection, quand leurs défauts
N'ont pas d'ipséité, réside
Dans la pureté de la présence
Naturelle de leurs qualités.
D'intelligents bodhisattvas
En réifiant l'imperfection,
En rabaissant les qualités
De la perfection n'auraient plus
Assez d'amour pour voir en les
êtres sensibles leurs semblables.
139-2 De même, certains, faute d'entretenir une perception correcte, exempte de surévaluation ou de sous estimation de cet être ordinaire à l'esprit [perçu comme] dénué de la nature de Bouddha, commettraient donc la faute de la surévaluation : leur donnant trop d'importance, ils réifieraient en les tenant pour existant authentiquement, les souillures adventices dans leur imperfection. Et ils rabaisseraient, dans l'ignorance, la présence spontanément établie, avec toutes ses qualités absolues, de la vacuité (dharmadhātu), du point ultime, se rendant ainsi coupable de sous estimation. A bien l'examiner, les fautes adventices chez les êtres parce qu'elles sont supprimables, fabriquées de cause et de condition n'existent pas parfaitement. Si l'on retient ce qui a une existence parfaite, ces défauts étant superflus, c'est la présence de qualités absolues parfaitement pures par nature, pouvoirs, etc, du fait de la double absence d'ipséité de l'individu et des phénomènes. Il est dit : " Si des bodhisattvas se rendaient coupables de surévaluer, le réifiant, ce qui est imparfait, de la méprise sur la nature ontologique de ce qui n'est que passager ou, les rabaissant, de dire : " Il n'y a pas de présence spontanée, intemporelle, de la vacuité (dharmadhathu), avec ses qualités parfaites ", alors ces bodhisattvas si intelligents ne se montreraient pas dotés de la grande bonté aimante, celle où ils se voient eux mêmes et les êtres sensibles similaires en la bouddhéité absolue de leur nature, tandis que rejaillirait sur eux la faute d'un attachement excessif à l'ego.
C'est pour cela, en vue de l'abandon de ces fautes, que fut enseignée d'une manière accessible la vacuité (dharmadhātu).
A ce propos, dit le seigneur Mikyeupa : "Pour certains érudits du Pays des neiges, la déclaration de l'Insurpassable Continuité : "Le Cœur de l'Ainsi allé est en tous les êtres" est un point interprétable. Comment ? [En excipant de ces mots que] ce qui est souhaité dans cette citation, c'est [seulement] l'abandon des cinq fautes. Alors, [si l'élément, le Cœur de l'Ainsi allé n'était pas en tous les êtres] il n'y aurait pas nécessité de dissiper les cinq fautes. Rabaisser au rang d'inférieurs les êtres ne serait pas une erreur, le Cœur de l'Ainsi allé ne serait pas en tous les êtres, il n'y aurait pas nécessité de faire siens les enseignements sur le Cœur de l'Ainsi allé et, puisque c'est un point interprétable, il n'y aurait pas faute à dévaloriser le corps de réalité ni le Cœur de l'Ainsi allé, expression verbale du mode d'être ne tombant pas dans l'extrême du dénigrement, s'agissant de quelque chose n'ayant pas d'existence dès le début. Il serait normal d'être déprimé, n'ayant pas la nature de Bouddha dans sa continuité [mentale], et aussi une explication sur la manière de se préserver du découragement relèverait d'une position sans fondement. Et encore, si l'on va par là, l'éminent Asańga, entre autres, ne se montrant pas pleinement logique (tshad ldan), commenterait d'une manière biaisée, ici, la tradition scripturale authentique en endommageant dans leur nécessité et leur contenu les paroles du Vénérable, de Maitreya.
Sans marcher sur les traces de ceux capables de piétiner l'éminent protecteur Asańga, c'est dans son sillage que nous resterons !"
140 L'ayant entendu, on engendre
Les cinq dharmas de la joie, de
La dévotion à l'enseignant
Tel qu'il est, du discernement,
De la sagesse, du grand amour :
Cinq dharmas à partir desquels
On verra d'une manière globale
L'inexistence des lacunes,
Les qualités qui sont nôtres,
Et, aimant des êtres identiques
A soi, obtiendra vite l'éveil.
140 Ainsi, est-ce bien d'une parole de sens direct qu'il s'agit quant il est enseigné : "La vacuité de l'Ainsi allé est infuse en tous les êtres" et les disciples potentiels l'ayant bien entendue engendrent les cinq dharmas positifs : (a) la joie à l'ascèse du chemin, pensant  : "La réalisation directe de ma propre nature même est le grand éveil ! " ; (b) la dévotion pour l'enseignant tel qu'il est, reconnaissant le Bouddha en la nature d'autrui ; le discernement de la perception de l'inexistence des souillures passagères, relatives et la double absence d'une ipséité ; la sagesse percevant la présence de la vacuité absolue (dharmadhātu) dans la nature [de l'esprit] ; le grand amour qui, voyant la similitude entre la nature des autres êtres et le bouddha, aspire à faire le bienfait de ces êtres. Tirant parti de ces cinq dharmas positifs, ils voient d'une manière globale l'inexistence de ces fautes, un esprit découragé, etc., et la présence [en chacun] du Cœur d'un Bouddha. Ils réalisent que ce Cœur est doté, d'une manière naturellement pure, des qualités, qu'il est sans fautes ni taches adventices et voyant, à partir de leur grand amour, une identité, entre eux et les êtres, quant à la possession de ce Cœur de l'Ainsi allé, ils parcourent le chemin progressif (lam rim) et ils obtiennent vite et sans l'ombre d'un doute l'éveil abouti et insurpassable dont le fruit consiste en les deux biens personnels et d'autrui.

Ceci achève l'exposition du premier chapitre, la section du Cœur de l'Ainsi allé en tant que base à réaliser, du Traité de la continuité ultime du grand Véhicule, classification de la lignée spirituelle des Trois Joyaux.

Page précédente                                            Haut de la page                                                                   Suite