Globalement, les trois [natures : gotra, tathata, Corps de réalité], le champ de ce qu’il y a
à connaître au moment de la base (
gzhi
dus
), l’objet de la visée (
lta
ba’i yul
) au moment du chemin, le corps essentiel au moment du fruit, reposent sur la sagesse du dharmadhātu.
C’est la position de tous les textes du seigneur Maitripa.
[Concernant ce moment de la base], il est dit, par exemple, dans
l’Ornement
de la claire réalisation
:
< “La nature de la dimension du réel (dharmadhātu) est le support de l’accomplissement …”
Ayant ainsi posé la base à purifier, il est expliqué que les quatre accomplissements, ou conduites,
sont les purifiants (
sbyong byed
)
et que l’obtention du Corps de réalité est le fruit de l’abandon de
tout ce qui doit être abandonné pendant [le chemin de] la vision et la
méditation, c’est-à-dire le fruit de la purification (
sbyang bya
).
Ici, [dans la Continuité ultime], la base de la purification est
l’élément, le sugatatagarbha. Les facteurs purifiants sont les quatre
dénommés dévotion pour le Dharma, etc., et les soixante purifications
complètes. Ce dont on doit être purifié, ce sont des neuf taches,
l’attachement, etc., les trois voiles et les quatre obscurcissements :
l’aversion pour le Dharma, [la vue d’un soi, la peur des souffrances du
cycle, l’absence d’intérêt pour le bien des êtres ordinaires (cf.S.
31)].
Le fruit de la purification est la manifestation des qualités et de l’activité du Corps de réalité.
A part un langage didactique propre à chacun de ces textes,
la Continuité ultime
partage donc le
même point de vue (
cig tu ’babs pa
)
que
l’Ornement de la claire
réalisation
: celle-ci pose, pour le moment de la base, la conscience base de tout
comme le support où sont placées les tendances habituelles du nirvāńa
et du saḿsāra, pour le moment du chemin les taches étrangères comme ce
qu’il faut abandonner, accepte la sagesse auto-connaissante comme
l’aspect à percevoir sous l’angle de sa parfaite pureté et établit
l’existence d’une sagesse ultime de transformation au moment du fruit.
Il n’y a pas de différences [entre les deux textes].
C’est la base de leur explication. En sont apparus
deux développements : a) l’explication du chemin de l’inférence donnée
par le madhyamaka et b) l’explication du chemin de la connaissance
valide directe du point essentiel (
snying po’i don
).
C’est le système explicatif de Go Lodèn Shérab et ses successeurs. Le tathāgatagarbha, étant accepté comme une vérité absolue, est admis sous l’aspect d’une vacuité ayant la caractéristique d’une négation non affirmative, telle que l’explique la Collection des [six] traités [de nāgārjuna]. Le grand traducteur Cheunou Pèl et Tsang Nagpo ont dit de cette vérité absolue :
“A quoi bon voir comme un objet direct de la parole ou de la pensée ( sgra rtog gi dngos yul ) ce qui ne se prête même pas à être un objet de référence [de la parole ou de la pensée] ?”.
Pour maître Chapa :
“La vérité absolue a la quiddité d’une négation non affirmative par excellence car les objets sont vides de réalité ; elle est saisissable, aussi, comme un objet de la parole et de la pensée ( sgra rtogs )”.
Le point de la présence naturelle des qualités impute à la vacuité en tant que support objectif, la réunion naturelle de toutes celles-ci : le principe de la parfaite puretés’explique du fait que la double absence de soi, support objectif de la sagesse parfaitement purifiée, ne requiert pas d’adjonction. Quant au principe des passions, le soi de la personne et des phénomènes, il est un objet créé par ces passions même, [une fantasmagorie] sans une existence qu’elles-mêmes ont hypostasiée ( sgro ’dogs ). De ce fait, elles n’ont pas d’existence première à supprimer par la suite. Le point de la compénétration du Corps de réalité [et de tous les êtres], également, s’explique par l’aptitude des êtres à obtenir ce Corps de réalité.
[Le traducteur] Marpa écouta les adeptes de la tradition de méditation des Cinq Dharmas de Maitreya issue de la lignée du traducteur Zou et de Tsèn. Il reçut les Annotations sur l’eccéité en dix stances, etc., instruction spéciale ( man ngag ) sur la vertu de perfection transcendante en harmonie avec le Mantrayana secret. Composée par le grand maître Maitripa, celui-ci en avait ouï les instructions particulières ( gdams ngag ) de la lignée de pères en fils du Grand Brahmane [Saraha]. Par la suite, Marpa dira :
“Ce Dharma qui n’est pas une œuvre de l’esprit, mais libre de limites, sens crucial, ultime véhicule, m’a introduit directement au Grand Sceau!”
Et Gampopa déclarera :
“Le texte [de base] pour notre Grand Sceau est le Traité de la continuité ultime du Grand Véhicule composé par le vainqueur Maitreya ”.
Il procéda à d’éclairantes explications de celui-ci dans ses
remarquables exposés du Précieux ornement de la libération, etc.
Ensuite, les Pagmodroupa pères et fils, le second vainqueur Rangjoung,
etc., seigneurs de la dixième terre voyant directement le point
essentiel, eurent en commun cette voie (
gcig du ’brang bar mdzad
).
Kyopa Jigtèn Sumpo, aussi, mettait en mouvement la Roue du Dharma d’une manière merveilleuse à partir de ce point essentiel.
Le même, dans son incarnation suivante, l’omniscient Dolpopa composa le
[Grand traité du sens du] quatrième Concile de la nature essentielle de
sens définitif.
Le grand pandit Zilung, le seigneur omniscient
Taranatha et l’omniscient Tenpai Nyingjé [huitième Sitoupa], etc., à
part quelques différences mineures dans l’expression, prenaient
unanimement ce point crucial (
gnad
) comme vue.
Encore, disciple direct de Maitripa, le pandit Vajrapani répandit
largement au Tibet commentaire et texte fondamental de L’ainsité en dix
stances, qui appartiennent aussi à la tradition orale d’un enseignement
de sens direct du Grand Sceau. Le disciple direct de Maitripa, Dampa
Sangyé, ayant donné le nom de “Dharma authentique apaisant les
souffrances ” à une doctrine du Grand Sceau en accord avec le
Mantrayana secret et la vertu transcendante en son essence, intégra
aussi cet enseignement donné plus tôt au Tibet. En somme, l’ensemble
des traditions orales (
bka’ srol
)
d’instructions et d’explications issues de la lignée de Maitrigupta
tombèrent toutes d’accord, à part pour quelques tournures lexicales,
sur ce même point : la nature essentielle, tathāgatagarbha, est la
nature de l’esprit, la claire lumière ; elle demeure dans le continuum
des êtres — alors appelée gotra — et ceux-ci méritent le nom de
“possesseurs de la nature essentielle de la bouddhéité”.
Nature de bouddha, elle les élève vers le dharma du
chemin et du fruit, à l’exemple du roi nāga montant des profondeurs de
l’océan jusqu’aux sphères célestes ( mtho
ris
), puis,
au moment de l’éveil, appellée “Corps de réalité”, son essence devenue
manifeste, elle recouvre tous les phénomènes du cycle des existences à
l’image des émanations de Brahmâ descendant sur terre.
A ce moment-là, l’essence de la Vraie nature du Corps de réalité et celle de l’élément (
khams
)
des êtres, hormis que l’une est pure et l’autre non — du fait de la
présence des taches adventices — ont une seule et même ainsité en tant
qu’inaltérable et égalisée. Ceci sera montré par la métaphore du
Vainqueur qui, tout en demeurant sur la terre, pénétre les trois
royaumes des apparitions de ses corps.
Si on différencie légèrement [l’ainsité du Corps de réalité et celle de l’élément des êtres], on a
deux gotras : un naturellement présent (
rang bzhin
gnas pa
) et un en épanouissement (
rgyas
gyur
).
Le premier est présent en tant que garbha depuis des temps sans
commencement dans le continuum des êtres, comme un trésor chez un
pauvre [voir S. 98 et suivantes]. Celui en épanouissement a trouvé une
base pour son dynamisme (
nus pa
), comme un
arbre fruitier nouvellement planté montrant sa fécondité, lorsque les
qualités éveillées s’accroissent de plus en plus par l’appropriation
effective des vertus de l’écoute, de la contemplation et de la
méditation propres au chemin de l’étude. En premier, il est le matériau
(
rgyu
) du Corps essentiel et en second, celui des
Corps de jouissance et d’émanation .
L’omniscient Rangjoung professe que le gotra en épanouissement est la base ou le support de la transformation (
rgyur gnas
).
Dans le Corps de réalité, il y a sa réalité et les causes propices à sa réalisation. La première, aux caractéristiques des deux puretés, est le Corps de réalité proprement dit ; les secondes sont constituées des Paroles excellentes enseignant les modes des relatifs variés ( kun rdzobs sna tshogs ) et du profond absolu ( zab mo don dam ).
Deux types d’eccéité, ultime et relatif, sont enseignés sur l’ensemble
des Paroles excellentes à ce sujet. Le grand Cheunou Pèl professait
l’application d’une division générale entre absolu et relatif aux trois
natures essentielles, obtenant ainsi six aspects. Ce texte n’entend pas
scinder l’ainsité, qui reste la Réalité ou eccéité naturelle de
l’esprit, présente sous la forme d’une modélisation continue d’une
[unique] noblesse spirituelle ( rigs ’dra rgyun ma
chad par
), depuis les êtres jusqu’au
Bouddha.
La nature de l’esprit, claire lumière, dit-on [dans la Continuité], est
“ telle la voûte céleste [que rien] n’altère jamais (S. 57)”, est “La
Réalité (dharmatā) [i] immuable — semblable dans la phase finale à [ce
qu’elle est dans] la phase initiale (S. 48)”. Elle est enseignée au
moyen d’exemples et de noms symboliques variés : dans les sūtra, elle
est perfection de la vertu transcendante, vérité absolue, ultime limite
(
yang dag pa’i tha’
),
nature propre du mode foncier (
gnas lugs rang bzhin
), l’immuable parfaitement existant,
Réalité, esprit même (
sems
nyid
), vide, etc. Le Mantrayana l’enseigne par de nombreux synonymes : protecteur premier, sagesse
co-opérante (
lhan cig skyes pa’i ye shes
), grand bindu, claire lumière naturelle, Grand Sceau et ainsi
de suite.
Les voiles agissent sur la claire lumière de l’esprit comme une nuée de
taches adventices. De nombreux noms désignent la conscience s’élevant
simultanément avec la nature de l’esprit, comme or et scorie non
séparés, laquelle conscience est la source de la dualité sujet-objet :
conscience base de tout ( kun
gzhi’i rnam shes
), nature dépendante (
gzhan
dbang
), illusion du relatif (
kun rdzobs
’khrul pa
), imprégnation de
l’ignorance (
ma rig bag chag
), etc.
De là apparaissent l’aversion pour le Dharma, [la vue d’un soi, la peur
des souffrances du cycle, l’absence d’intérêt pour le bien des êtres
ordinaires (voir S. 31)], les quatre voiles qui lient au saḿsāra,
empêchant de réaliser le mode d’être fondamental de l’esprit.
L’éradication (
drungs phyung
)
des taches adventices et l’accès à la nature essentielle de Bouddhas —
que l’on appelle Corps de réalité — advient par la réalisation sans
erreur de la nature foncière de l’esprit, à l’aide des quatre causes de
base de la dévotion pour l’enseignement ultime, [du discernement
supérieur engendrant les qualités de Bouddha, du bonheur de
l’absorption méditative, de la compassion, dévotion pour le véhicule
ultime (voir S. 32)].
L’élément est vide (
khams la
stong pa
)
des souillures des taches qui, fabriquées, lui sont extrinsèques, sa
nature de la claire lumière ne les ayant jamais, à aucun moment,
connues et il n’y a rien à lui ôter. L’élément n’est pas vide des
qualités. Celles-ci sont inhérentes à son essence ( rang cas kyi
ngo bo
)
en tant que caractéristiques, qui en sont indifférenciées et il n’y a
rien à créer qui n’aurait pas été là précédemment. Prenons l’exemple du
malade de la jaunisse : il verra une conque jaune alors que la matière
de celle-ci est vide de [toute couleur] jaune, mais non de blanc .
La pensée affermie sur le sens [de ceci] par l’écoute et la réflexion, on arrive à “l'évidence ultime (
yang
dag mtha’
) de l’absence de tous les modes du composé [voir S. 137]”. C’est ainsi qu’on analyse la sagesse de la vacuité
d’altérité, dont il est dit encore :
“La nature du dharmadhātu est sans commencement, milieu ni fin, indivisible, exempte des deux [extrêmes], séparée des trois [voiles], sans souillures et non conceptuelle. Sa réalisation est la vision du yogi en contemplation (S. 167)”.
L’expérience perçue ( myong ba ) à travers cette méditation, se nomme “sagesse de la vacuité non duelle” ( gnyis stong gi ye shes ). Le seigneur Sakyapa en disait :
“T’étant affermi dans l’affranchissement des limites ( mtha’ bral ), pratique l’union ( zung ’jug )  !”
Les sages porteurs de la tradition exégétique du point crucial unique ( gnad cig ) sont connus sous le nom de “tenants de la vacuité d’altérité de la Voie Médiane”, tandis que la vacuité d’altérité est directement enseignée dans les sūtra seulement par des indices spéciaux. Ici, au Tibet, le grand Accompli Youmo composa les Quatre cycles de la lampe illuminante (gSal sgron skor bzhi : zung ’jug gsal sgron, phyag chen gsal sgron, ’od gsal gsal sgron, stong nyid gsal sgron ) dont naquit un système d’exposition. L’expression “vacuité d’altérité” fut largement propagée par l’omniscient Dolpopa et ses successeurs ( yab sras ). Sur les points cruciaux de leur vue et méditation, il n’y eut pas le moindre désaccord ; cependant, dans le contexte de la démonstration de la vue, en terme de formulation philosophique, il y eut vraiment des opposants, en particulier quand le maître omniscient Jonangpa expliqua le tathāgatagarbha comme, littéralement, la vertu transcendante de la pureté, permanence, félicité et d’un soi véritable . Tous les avis au Tibet dénoncèrent ce défenseur d’une réalité absolue accessible par l’entendement. Mais dans l’idée [du maître omniscient de Jonang], ces qualités de permanence, etc., étaient celles de l’élément immuable, de l’eccéité libre de définitions, de fabrication mentale, au-delà des compréhensions verbales, acceptée comme l’objet non fictif de la sagesse non conceptuelle. Puisque, si cette analyse avait à supporter une analyse raisonnée, [le mode intellectuel même de] cette analyse serait une erreur ( ’khrul pa ), on la décrit comme étant identique à “la forme vide dotée de tous les aspects sublimes”, appelée la mahamÝudri, etc., dans le Kalachakra [tantra].
En somme, à la base des deux approches — chemin de la perception directe du point essentiel ou chemin de la déduction du point essentiel — il y a la recherche de l’être ou non d’un constituant de bouddhéité dont on il est dit :
“En son sein, il n’y a rien à dissiper,
pas la moindre chose à ajouter ; la perfection voit la perfection, et
cette vision, en sa perfection, est complète libération.
L’élément est vide des souillures accidentelles par
nature supprimables, et il est non vide des dharmas par nature non
séparables (S. 133-134)”.
Une division entre objet de connaissance analytique et objet de connaissance par la méditation prit place, selon la compréhension de visions tournées soit vers l’extérieur, soit vers l’intérieur.